Dans le cadre d’une région Caraïbe en pleine évolution, marquée par le rayonnement historique de l’Europe et des États-Unis, et l’arrivée de nouveaux acteurs influents comme la Chine, la Russie ou le Brésil, l’objectif de ce panel organisé par l’IdA avec la collaboration de Funglode-France et les Nations Unies était de comprendre comment s’articulent les relations entre la République dominicaine et la République d’Haïti, et quelles sont les contributions scientifiques et académiques qui facilitent le dialogue officiel entre les deux États. En effet, dans une période où Haïti traverse une crise multiple, les intervenants ont tenté d’exposer comment le dialogue bilatéral entre les deux pays est maintenu sur des questions fondamentales, tels que la prévention et la réduction des catastrophes naturelles, les migrations, la sécurité ou la coopération en matière de santé, notamment par le biais de la Commission mixte bilatérale, seul organe permanent de dialogue entre les deux États.
Le panel a débuté par une minute de silence en raison du décès du professeur Alain Touraine. Après l’introduction par le modérateur, le professeur Carlos Quenan, en sa qualité de Vice-Président de l’Institut des Amériques et également membre de Funglode France, l’ambassadeur Julio Ortega Tous a déclaré que la République dominicaine et Haïti partagent la même île, de sorte que les deux États devraient commencer par chercher un nom commun pour désigner leur île, ce qui impliquerait une modification de chaque constitution pour valider ce nom.
Il a indiqué que, selon certaines études, au 17ème siècle, 50% du PIB de la France et plus des 2/3 du commerce extérieur provenaient de la colonie de « Saint-Domingue », qui a ensuite donné naissance à la plus grande révolution anti-esclavagiste de l’histoire. Toussaint Louverture a permis que cela se produise et récemment, le président Macron lui a rendu hommage. Il a également rappelé le développement d’une seconde guerre, après la restauration de l’esclavage par Napoléon. À l’heure actuelle, l’Ambassadeur Ortega Tous a souligné les aspects suivants : la crise humanitaire actuelle en Haïti, qui est à la fois alimentaire et sécuritaire; la coopération existante en matière hydrique, avec la mise en place d’une Table Hydrique binationale permanente, dont la vocation est de travailler sur les principaux fleuves partagés, tels que l’Artibonite et le Massacre. Un autre aspect qu’il a mentionné est l’état des ressources forestières en Haïti. Il a expliqué qu’en République dominicaine, dans les années 1966-1967, un changement de politique a permis l’élimination de la coupe des arbres et leur commercialisation, et la mise en œuvre d’un programme de substitution du charbon par le gaz. Aujourd’hui, la République dominicaine a entre 45 et 50% de son territoire couvert d’arbres, alors qu’il n’y avait que 11% couvert avant 1966, et a également mentionné une large mobilisation citoyenne qui a permis de maintenir cette politique. Un autre aspect mis en évidence est celui du développement du tourisme binational : la Commission mixte bilatérale s’intéresse à la promotion de l’écotourisme, avec une complémentarité à court et moyen terme. Les menaces du changement climatique sont un autre aspect à prendre en compte dans les relations binationales, car a-t-il indiqué, nous avons assisté à de longues périodes de sécheresse, suivies de fortes pluies, provoquant des inondations majeures. La multiplication de ces phénomènes nécessite une coopération sur l’île et un soutien international.
L’Ambassadeur Pierre Karly Jean Jeune a présenté quelques racines historiques du Traité de Bâle qui divise le territoire de l’île, et a mentionné le Traité de paix, d’amitié, de commerce, de navigation et d’extradition de 1874, le meilleur à son avis (voir article 12), mais qui n’a pu être renouvelé faute de l’approbation de l’Assemblée nationale d’Haïti. Il a rappelé que l’héritage coopératif entre les deux pays est vaste, malgré l’histoire, à travers laquelle des épisodes d’assassinats, les déportations massives, etc. ont été connus. Il a mentionné le changement intervenu en 1996 lorsque les présidents Balaguer et Préval ont procédé à la création de la Commission mixte bilatérale dans le but de permettre le dialogue en faveur du développement des deux pays. En 2012, les présidents Fernández et Martelly ont transformé la Commission en lui attribuant son rôle actuel de mécanisme de dialogue principal. Aujourd’hui, il souligne que la 7ème réunion de la Commission est en cours de planification et que le travail se poursuit pour parvenir à l’harmonie entre les deux peuples.
L’ambassadeur Iván Ogando a orienté sa présentation sur le cadre de la relation avec l’Europe au cours des 40 dernières années. Il a rappelé que l’entrée de l’Espagne dans la CEE était à l’origine de l’adhésion de la République dominicaine à la Convention de Lomé IV en 1989, avec Haïti. Dans le cadre de cet accord, la coopération régionale a été l’un des aspects importants, avec la disponibilité de ressources pour les pays afin de promouvoir le rapprochement et l’intégration régionale. À cet égard, le Forum des pays ACP, CARIFORUM, a été créé pour coordonner les projets régionaux, ce qui a obligé la République dominicaine et Haïti à développer leurs relations avec les Caraïbes anglophones. L’Ambassadeur Ogando a rappelé que ce sont les deux seuls pays qui partagent une même île, ce qui constitue un avantage dans le contexte des Caraïbes, et dans le cadre du CARIFORUM des alliances dominicaines-haïtiennes ont été développées pour pousser certains projets. Cependant, il a également souligné que la coopération européenne a beaucoup évolué et ne dispose plus des mêmes fonds pour les Caraïbes, mais qu’il s’agit aujourd’hui de mécanismes de coopération avec une portée plus réduite pour le voisinage de l’UE. Dans l’ère post-Cotonou, l’objectif est de parvenir à un développement durable dans les pays ACP conformément à des intérêts mutuellement bénéfiques. Dans ce contexte, la coopération binationale exige davantage de coordination et d’efforts pour atteindre les objectifs de développement binationaux.
Smith Augustin a expliqué que les deux États ont le devoir de développer des relations harmonieuses pour le bénéfice des peuples et le bien-être général. Les relations se produisent d’abord entre les peuples qui vivent la réalité quotidienne, les Dominicains en Haïti, les Haïtiens en République dominicaine et le monde de la frontière. Il est nécessaire de comprendre comment les relations bilatérales entre les deux pays s’articulent et de construire une véritable coopération. Il semble que les réunions aient lieu lorsqu’il y a des problèmes, pour trouver la solution, mais que recommence ensuite l’unilatéralisme. Selon le chercheur, il y a des solidarités, mais aussi de la méfiance. L’instabilité en Haïti est un problème majeur en termes de planification et de développement d’une coopération constructive. La question est la suivante : Comment construire cette coopération ? Du côté haïtien, il passe par une restructuration de l’État, vers un État stable, qui pourrait inclure l’élément dominicain de manière structurelle. De l’extérieur, il estime que les pays amis doivent reconstruire leur vision d’Haïti, en aidant au dialogue entre les élites et les masses afin que le pays puisse prendre son avenir en main. Du côté dominicain, il y a une crainte dans la société depuis le 19ème siècle d’une invasion d’Haïti, aujourd’hui, par la migration. Depuis la chute de Trujillo, une autre vision d’Haïti est apparue en République dominicaine, où elle trouve ses défenseurs. Il est nécessaire de « déracialiser » les relations entre la République dominicaine et Haïti, de construire un dialogue et un regard plus ouvert et rationnel. Les nouvelles idées diffusées par les sciences sociales ont joué un rôle important et les chercheurs peuvent continuer à contribuer à l’efficacité de la coopération bilatérale.
Rédigé par Claire Guillemin.